Accompagnement

Accompagnement Prévention – témoignage dans le cadre du groupe Monde du Travail

February 12, 2022

Témoignage

"Tu verras dans dix ans ce sera moins facile, moi à ta place" (tu n’y es pas),« si tu continues comme ça », (comme quoi ?) « tu ne vas pas tenir à ce rythme-là » (le tien ou le mien).

Tout cela régulièrement dès qu’une tentative de partage sur ce qui anime, d’échange sur les hésitations se présente voire se fait pressante.

Et ces mêmes personnes réitèrent leur avertissement régulièrement en repoussant à chaque fois l'échéance. Naturellement un jour, la mort viendra : « ah je savais bien que ça finirait mal »

Ces phrases appellent et rappellent l’oiseau de mauvais augure qu’est le« risque ». Ce risque qui plane au-dessus des têtes. Il est l’allié des inconfiants et la hantise des indécis, obligeant les imprudents à baisser la tête, se protéger, ou se défendre.

Alors que nous cherchons seulement, d’où nous sommes, comment nous en sommes arrivés là.

Les consommateurs, et en particulier les plus jeunes, ont fini par s’approprier la croyance qu’il est dangereux d’être totalement soi. La consommation les aide, les protège face à ce danger.

Les décideurs proclament que les drogues ne doivent pas être accompagnées mais combattues et mettent en avant la prévention comme alibi.

Leur jeu de la prévention consiste alors à se protéger du risque en posture défensive mais pas à s'intéresser à ce qui fait sens et comment il se construit. De questionner sur les difficultés et les ressources qui font qu’ils en sont là où ils sont. Combattre est utile mais pas suffisant.

 Mais quand le système, qu’il soit familial, professionnel ou sociétal devient empêchant, jusqu’à la privation, la prévention pourrait peut-être consister à trouver de quoi se nourrir pour continuer à construire. Consommer c’est se nourrir.

Car c’est de privation dont parle les consommateurs. La peur d’être privé de leurs idées, de leurs expériences, de leurs consommations. Et cette peur alimente de façon bien plus intensément la consommation que la peur du risque. La nécessité impérieuse de reproduire un comportement alors même qu’on en connaît les effets néfastes : la définition de l’addiction.

C’est bien de privation, voire de confiscation dont il s’agit lorsque l’on aborde collectivement, institutionnellement la question de la prévention. « non, mais ça on sait faire », « on va pas revenir la dessus ». Comme si chacun pouvait perdre une partie de ce qu’il a construit. Comme si la« dispute professionnelle » pouvait prendre en défaut des points de vue déjà constitués (Y.Clot, 2021, Le prix du travail bien fait, Ed.LaDécouverte)

Et si nous partagions ce que chacun « fait » justement, comment il y revient, ou pas, sous l’angle de la clinique. Si l’accompagnement au changement était de la prévention.

Si la fonction du collectif était une fonction nourricière. Ne pas apprendre des échanges, mais se nourrir des points de vue. Chacun étant libre d’en faire ce qu’il veut, dans son parcours individuel.

Le débat collectif éclaire alors quelque chose que nous savons faire mais que nous ne voyons plus. Il ne s’agit pas de priver en remettant en cause, mais d’éclairer pour remettre en question. Du connu vers l’inconnu.

 Le groupe « Monde du Travail » a accompagné chacun de nos parcours individuels en étant un espace nourricier. Le fil rouge a toujours été la clinique. Nous sommes toutes des cliniciennes.

Même si certaines étaient parfois individuellement empêchée dans leur activité parles institutions, le groupe a toujours garanti la légitimité de chacune. Que l’on soit portée par une structure ou simple indépendant comme seule illustration de « soi »

Se nourrir des expériences et des échanges pour avancer en cohérence avec ce que l’on est. L'importance de la temporalité est autant née de notre réflexion collective que du vécu individuel.

Sur la temporalité, le groupe « Monde du travail » a été d'une grande richesse. Personnellement, il m’a guidée non pas dans mes choix, (chacun a son libre arbitre), mais dans mes priorités.

C’est en prenant conscience de l’importance de la temporalité que j’ai créé le dispositif de consultations dans lequel nous évoluons, notre « Team tabaco/addicto »à Montpellier, depuis quatre ans.

Un dispositif gratuit sans contraintes de durée, ni financière, tant pour nous, que pour les patients. Le seul arbitrage c’est la clinique.

La plupart des consommateurs que nous accompagnons vivent le collectif qu'il soit familial, professionnel ou sociétal comme un lieu de rappel du danger, du risque. Risque de faire le mauvais choix (mode binaire qui empêche la flexibilité psychologique), lieu de peur par manque de légitimité. C’est en partie parce qu’ils ne vivent pas ces espaces comme des espaces nourriciers, qu’ils consomment.

C’est encore en prenant conscience de l’importance de la temporalité que je l’ai inclus comme condition organisationnelle de mon contrat en psychiatrie à Paris.

Avoir le temps de faire ce que l’on veut, comme l’on veut au rythme où l’on veut ne signifie pas faire n’importe quoi, avec n’importe qui, n’importe comment.

Avoir et prendre le temps du changement, c’est un outil et une ressource précieux.

 Travailler en psychiatrie donne une autre dimension de la temporalité. Elle n’est pas sans rappeler l’obstétrique dans ce qu’elle peut être à la fois impatiente et soumise au temps du changement. Ce sont deux écoles d’humilité et de temporalité mais aussi de difficultés.

Mais ce ne sont pas les difficultés qui empêchent de dormir la nuit, c’est l’absence de sens.

Il y a bien plus de « risque » à n’être « que », que d’être « totalement ».Le mode restrictif est plus souvent source d’insomnies que le mode expansif.

Nourrir et laisser grandir, évoluer, suivant une temporalité qui permet d’évaluer collectivement les priorités et ensuite faire des choix individuels. Notre société du« tout, tout de suite », de l’immédiateté, a rendu l’attente anxiogène. Fumer pour ne pas « rien faire ».

Les stratégies de court terme ne sont pas l’exclusivité des consommateurs. Fonctionner à court terme est devenu un mode de vie, un mode de communication, un mode politique voire sanitaire.

La généralisation du télétravail n’est pas qu’une source de risque ou d’intrusion du professionnel vers le personnel. Elle est aussi une reprise en main de l’activité par les opérateurs eux-mêmes et par là source de créativité et d’ingéniosité pour continuer à se nourrir et construire.

La crise sanitaire a mélangé les champs nous imposant de travailler dorénavant en inter champs avec un seul fil conducteur : la clinique.

La clinique appliquée à la santé

La clinique appliquée au travail

La clinique appliquée à la prévention

Suivre son intuition et interroger ses hésitations

Suivre la clinique et interroger les champs.